Lorsque le travail ne va plus (et qu'on veut juste rester à la maison avec son chat)

« Si au début du développement de l’ère industrielle avec le secteur secondaire ce sont surtout les conditions physiques de l’homme qui étaient mises à l’épreuve, nous voyons maintenant, avec le développement du secteur tertiaire et des nouvelles technologies, émerger des troubles psychiques. Le travail ne soumet plus le corps de l’homme, mais son psychisme. » (Chapelle, 2016).

Lorsque le travail ne va plus, c'est source de souffrance. On passe le plus clair de notre temps au travail et on y attache souvent des espoirs (promotions et salaire, la possibilité de faire carrière, faire quelque chose qui a du sens pour nous, faire quelque chose qui a de la valeur ajoutée et qui nous intéresse. Mais le travail est une partie de notre vie qui peut devenir de moins en moins adaptée à nos aspirations, à nos souhaits et à nos valeurs. La perte d'intérêt, de motivation, le manque de sens dans ce que l'on fait, une hiérarchie et des collègues toxiques : tout au travail peut devenir source de problèmes. Dans l'article qui suit, je fais un tour des principaux problèmes au travail, qui peuvent devenir handicappant. Ces problématiques ont été étudiées et sont maintenant plus ou moins bien connues. Elles sont le burnout (ou épuisement professionnel), le boreout et le brownout. 


Burnout, boreout et brownout : introduction


Cet article fait état de trois syndromes distincts, arrivés au devant de la scène parce qu'ils signent peut-être un des nouveaux visages des maladies professionnelles : le trouble psychologique induit par le travail. Dans une ère de plus en plus technologique, de zapping, de multiplications de relations aussi virtuelles que superficielles, d’obligation croissante d’être accroché à ses écrans, de jobs dénués de sens, l’épanouissement au travail est-il devenu une mascarade ?

« La situation (de crise du marché du travail) conduit les gens à s’enkyster dans des jobs qui ne les satisfont pas, ce qui mène à plus de souffrance au travail. Ce phénomène est nouveau sociologiquement, avant vous changiez de poste. Aujourd’hui, nous devons apprendre à vivre malheureux au travail. »

 


Le burnout

Le burnout est le contrecoup d’un épuisement total suite à une période d’excès de travail et est assimilé à un épisode dépressif majeur (un jour, on ne peut plus se lever du lit pour aller travailler, c’est un épuisement physique et mental profond). Près de 30 000 personnes en France souffriraient d’un épuisement de type burnout. Une étude (Technologia) rapporte que 12,6% de la population active occupée en France en souffrirait. Aujourd’hui, le burnout est une maladie officielle dans le sens où le salarié peut justifier d’une incapacité permanente au moins égale à 25% et qu'un lien «direct et essentiel» avec l'activité professionnelle soit mis en évidence par les autorités compétentes (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles), mais en réalité très peu de cas sont acceptés, faute de critères précis.

Un facteur de risque se trouve dans le lien entre un travail et l’utilisation de la technologie : plus un métier est technologique, moins il y a de séparation entre vie privée et vie professionnelle, conduisant à un épuisement psychique, par le biais d’un surengagement. Il y a une confusion entre espace et temps. La maison devient le bureau, le bureau devient un espace cocon avec des effets personnels pour agrémenter la contrainte du "concours au présentéisme" ou pour compenser le côté déshumanisant d'un open-space tout en verre et acier. Nous recevons des mails professionnels alors que nous sommes en train de terminer le dernier PowerPoint pour la énième réunion qui ne servira à rien, intitulé URGENT, alors que l’on est au lit et qu’il est déjà 23 heures. Il n’est, par conséquent, plus possible de quantifier le travail. La semaine de 35 heures devient alors aisément le double.

Le mécanisme du burnout

Le salarié en surmenage est de fait surengagé. Il va petit à petit évacuer toute activité en dehors de la sphère professionnelle. Sa vie deviendra son travail, comme d’ailleurs dans le workaholism (addiction au travail). Il y a quatre phases menant au burnout, selon l’étude de Technologia :

Malheureusement, seules quelques dizaines de cas de pathologies psychiques sont reconnus chaque année, ce qui est loin de la réalité du burnout en France, selon l’étude de Technologia.

"Les critères diagnostiques suivants sont nécessaires et suffisants pour décider de mettre le salarié en arrêt maladie pour le protéger du milieu de travail :

- État affectif négatif ;

- Organisation de travail et/ou conditions de travail défavorables (voir facteurs étiologiques ) ;

- Bon fonctionnement professionnel maintenu au prix d’efforts grandissants ;

- Faisceau de manifestations connexes caractéristiques : troubles du sommeil, douleurs

articulaires (lombalgies, cervicalgies, tendinites du membre supérieur), troubles digestifs, irritabilité, troubles de concentration, de mémorisation, repli sur soi progressif... ;

- L’état s’améliore de manière caractéristique avec l’arrêt du travail en 15 jours à trois semaines" Etude Technologia, p.38


Le boreout

Alors que le burnout comme le boreout, peut diriger le salarié vers un désengagement total vis-à-vis de l’entreprise, ce ne sont pas pour les mêmes raisons. Le boreout serait un épuisement dû à l’ennui, un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui - plus ou moins permanent - ressenti au bureau (on dit bureau, car cette affliction touche en priorité les métiers du tertiaire). Décrit d’abord en 2007 par deux consultants, P.Rothlin et P.Werder dans leur livre « Boreout : overcoming demotivation», ce phénomène toucherait un salarié européen sur trois, qui aurait du mal à trouver assez de travail pour remplir ses journées. Rothlin et Werder considèrent que le boreout touche trois fois plus de salariés que le burnout.

À cause du tabou qui entoure ce syndrome, le travailleur est amené à faire ‘acte de présence’ sur son poste et donc un sentiment d’enfermement, d’être piégé, peut s’installer. C’est un syndrome progressif dans son installation. On s’ennuie quelques heures dans la journée, ou sur une période où on a moins de travail que d’habitude, on surfe l’internet sans but précis, on passe son temps à regarder l’écran, en ouvrant des tableurs Excel, des vieilles présentations PowerPoint et des documents Word riches en texte, afin de faire semblant de travailler. Cette situation devient progressivement plus fréquente et on se désinvestit de son travail, n’y trouvant plus d’intérêt ou de challenge, la motivation baisse (ce qui fait que le salarié n’ira pas demander forcément plus de travail à sa hiérarchie : c’est le cercle vicieux qui s'installe). Petit à petit, le salarié s’efface, il a l’impression de ne ‘servir à rien’, et est oublié par son entourage professionnel (cf. la placardisation). L’ennui prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à arriver à l’épuisement psychique et à la dépression. Le même résultat final que le burnout.

La peur de l’indécence, dans un pays où il y a 10% de chômage, rend la parole et la vérité plus difficiles encore pour le salarié, qui se sent condamné à garder le silence. Ceci peut générer un sentiment de honte et de culpabilité. Le salarié cherchera à éviter le sujet à tout prix, d’abord avec ses collègues et même avec sa famille, ou cherchera des parades (ex, rester tard le soir pour faire semblant d’être débordé) ou en essayant d’allonger une tâche, aussi minuscule soit-elle.

En 2010, Zoé Shepard écrit «Absolument dé-bor-dée», qui expliquait sa vie de fonctionnaire où les 35 heures ne se tenaient pas en 1 semaine, mais en 1 mois. Aujourd'hui, le syndrome du boreout n’est plus la préserve de la fonction publique et des grandes entreprises dont on connaît les dérives de (non) licenciement, préférant garder des personnes en souffrance en poste plutôt que d’entamer de pénibles procédures de licenciement. Aujourd'hui, ce serait aussi un problème pour les jeunes fraîchement sortis de leurs études, qui sont contraints d'accepter le premier job qui passe, faute de dynamisme du marché de l'emploi.

Un lien entre boreout et mise au placard ?

Quatre profils de salariés sont très exposés : « Le cadre du privé ou le haut fonctionnaire qui se retrouve sans affectation ; les personnes qui sont surqualifiées par rapport à leur poste ; ceux qui ont été mis au placard ; et ceux qui font un travail intrinsèquement non nourrissant, comme les vigiles par exemple. »

Le boreout est également en lien avec le phénomène de ‘mise au placard’, devenu véritable fait social à en croire le nombre d'articles sur internet qui en parlent. J’ai décidé de faire un petit sondage en mettant 'mise au placard entreprise' dans Google. Sur les 30 premiers résultats, voici ce qui est sorti :

Déjà, 50 % des résultats sur Google sont en fait des articles de conseils pour les personnes victimes de mise au placard : les clés de ..., comment sortir de..., les 5 signes de..., comment faire, comment réagir, comment éviter. Et sur cet échantillon (reste à savoir si cela est vraiment représentatif de ce qui est écrit sur internet), le nombre de ce genre d'article est croissant depuis 2003. Affaire à suivre.


Le brownout

Deux chercheurs, Mats Alvesson et André Spicer (The Stupidity Paradox), postulent l’existence du brownout (comprendre 'baisse de régime'), aux côtés du burnout et du boreout. Quelques explications ci-dessous.

Le brownout serait dû à une "technologisation" à outrance ayant entraîné le développement de ‘bullshit jobs’ (traduction : boulots de merde). David Graeber, anthropologue américain publie en 2013 « Du phénomène des jobs à la con », vise plus particulièrement les secteurs des ressources humaines, du management, le consulting, la finance, et les emplois de bureau : des emplois en déficit de sens, minés par des activités chronophages et inutiles, dont les gestes ressemblent à une danse de pantin bien menée.

Symptômes du brownout

Selon Marc Estat, auteur de «Néantreprise, dans votre bureau, personne ne vous entend crier» (2015) : «On passe une grande partie de son travail à des tâches inutiles, voire contre-productives», on parle un langage corporate caricatural pour masquer le vide (ou pour mettre tout le monde dans le moule, telle une novlangue sortie de 1984) : «On switche en anglais à tout bout de champ. On ne réduit pas, on stretche. On ne surveille pas l'heure, on timekeep. Nous n'avons pas des données, mais des inputs». Marc Estat parle aussi de ces «consultants brasseurs de vent» et les «piloteurs de réunions» comme autant de caricatures que nous pouvons trouver dans n’importe quelle entreprise.

Le travail devient de plus en plus déshumanisé, dans le sens où il est coupé de l'humain et de la réalité de ses besoins. Les architectures intérieures à la mode le reflètent : les open-space où tout le monde peut surveiller tout le monde et à tout moment, ces espèces de constructions en verre partout (dont on ne prend même plus le soin de dépolir, tellement la discrétion est devenue obsolète). Le travail est devenu performance, au-delà donc de l'expérience et le soin apporté à son travail, assorti d’une  « multiplication de tâches très découpées qui rend le cœur de son métier invisible. Ce qui aboutit à un sentiment d’inutilité.»

Au final, si on suit la logique de David Graeber, les personnes atteint de brownout auraient en fait juste ouvert leurs yeux sur la réalité, un peu à la manière de Matrix et la pilule rouge. Cette réalité est ressentie comme inacceptable, ce qui provoque les symptômes du brownout listés plus haut. Mais c'est évidemment l'escalade. Il n'est pas très clair où mène le brownout à terme, faute d'études sérieuses à ce sujet : épuisement similaire à celui constaté dans le burnout et le boreout ? Perte d'estime de soi, une dégradation de l'image de soi, un peu comme une rage que l'on ne pourrait pas tourner vers les autres, alors elle se tourne vers soi ? Pour l'instant, nous ne pouvons pas dire.


Conclusion

Dans les trois syndromes, il y a une souffrance psychique pour l’individu qui se retrouve dans une situation difficile dans son travail. Il est possible que ces processus puissent évoluer vers d’autres troubles (par exemple, le stress chronique vers le burnout) ou encore s’associer entre eux et rendre alors plus complexe la symptomatologie (Chapelle, 2016). Il est donc impératif de surveiller ses réactions face au travail et ne pas hésiter à prendre rendez-vous avec un médecin généraliste ou le médecin du travail.

Pour aller plus loin 

Boreout!: Overcoming Workplace Demotivation de Philippe Rothlin

Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire de Zoe Shepard

The stupidity paradox: The power and pitfalls of functional stupidity at work de Mats Alvesson

Neantreprise, Dans votre bureau, personne ne vous entend crier de Marc Estat

Boulots de merde ! de Julien Brygo et Olivier Cyran   

Bullshit jobs de David Graeber

Biblio 

Chapelle, F.G. (2016) Modélisation des processus d’épuisement professionnel liés aux facteurs de risques psychosociaux : burn out, bore out, stress chronique, addiction au travail, épuisement compassionnel. Journal de thérapie comportementale et cognitive 26, 111—122


Si vous appréciez mon blog, n'hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux. Il y a aussi toujours la possibilité de laisser un commentaire. Ca a l'avantage d'ouvrir le dialogue. D'autres moyens sont possibles également afin de me contacter (pas nécessairement pour prendre rendez-vous, mais aussi si vous avez besoin de réponses ou d'un conseil). Je suis joignable par mail à :

sophie.elatri.psychologue@gmail.com

et par tél : +33 6 28 60 84 84 (adoptez WhatsApp pour m'envoyer un sms ou m'appeler).

Et vous pouvez aussi à tout moment réserver une consultation en ligne, avec au choix des séances de 30 minutes en ligne ou d’1 heure. 



Ouvrir un 'chat live' tout de suite avec moi via WhatsApp. Je réponds à vos questions et on peut aussi prendre rendez-vous. C'est aussi simple qu'un clic :)